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La facture du Livre de la Mort

Le 2 avril 1909, l'imprimeur du Livre de la Mort, Ch. Hérissey & Fils à Évreux, adresse à Édouard Ganche la facture correspondant à la réalisation de son ouvrage.
Le chercheur désireux de consulter ce document le trouvera au Département Musique de la Bibliothèque nationale de France, 2 rue de Louvois, à Paris, sous la cote Vma. 4334 (42), fonds Édouard Ganche.
Si cette facture fait bien partie de l'ensemble de documents légués par Marthe Bouvaist-Ganche à son décès en 1971 et enregistrés sous la référence Don 79-416 (6), elle s'y trouve sous une forme un peu particulière et dans un dossier où on ne s'attendrait pas à la trouver, comme nous l'allons voir.

La cote Vma. 4334 (42) correspond en effet au dossier «Divers inventaires de la Bibliothèque d'Édouard Ganche. Catalogue de la vente à Mâcon, 1961 [sic pour 1960]».
Le début des années 1960 paraît correspondre à un certain bouleversement dans la vie de Marthe Bouvaist-Ganche, qui a alors dépassé les 70 ans. Elle se sépare ainsi de nombreux documents jugés semble-t-il non essentiels, peut-être dans la perspective d'un déménagement. C'est ainsi qu'elle confie à Me D. Platet, commissaire-priseur à Mâcon (71), le soin de procéder à la mise en vente de quelques centaines de livres en sa possession, dont la plupart ont appartenu à son mari. Le catalogue imprimé pour l'occasion est intitulé Bibliothèque d'un amateur et porte en pages intérieures la mention «Livres de bibliophiles. Ouvrages sur la littérature, médecine, musique.» avec cette précision «Bibliothèque d'un médecin bibliophile». Sur les près de 400 ouvrages recensés, figurent effectivement des traités de médecine, des éditions reliées des grands classiques de la littérature, des ouvrages sur l'art, la religion, la médecine. On y croise les noms de Gabriele d'Annunzio, Honoré de Balzac, Georges Courteline, Pierre Louys, André Maurois, Paul Valery, Voltaire. On remarque aussi un lot de traités médicaux dont on retiendra notamment Le Corps et l'amour, du Dr Magnus Hirschfield, ou Le Droit à l'amour pour la femme, du Dr Michel Bourgas, qui nous rappellent qu'Édouard Ganche s'est très tôt intéressé à l'éducation sexuelle et a toujours conservé pour ce sujet un grand intérêt. Citons encore L'Art chez les fous, de Marcel Réja. Une série d'ouvrages sur la Bretagne, terre natale d'Édouard Ganche. Sur Lyon, sa ville d'élection. On remarque toutefois que certains de ces ouvrages sont postérieurs à 1945 et n'ont donc pas pu appartenir à Édouard Ganche. C'est le cas du Désert vivant (1954), de Walt Disney, ouvrage réalisé suite à la sortie, l'année précédente, du documentaire cinématographique du même nom. On ignore hélas le contenu de la référence 378, dernière du catalogue, intitulée «Lots hors catalogue», mention propre à stimuler l'imagination de l'amateur ganchéen...
La vente a lieu à l'Hôtel des ventes de Mâcon, 3 rue Gambetta, le 20 novembre 1960. Les documents en notre possession ne nous permettent pas de savoir si elle est couronnée de succès.

Quoi qu'il en soit, et pour en revenir au sujet qui nous occupe, si la facture de l'édition originale nous est parvenue, c'est à la suite d'un concours de circonstances étonnant, car tout indique qu'elle devait faire partie de ce que la veuve d'Édouard Ganche considérait à tort ou à raison comme des documents sans intérêt qu'elle destinait à la corbeille à papiers. Or, fort heureusement pour nous, Marthe Bouvaist-Ganche a tout simplement utilisé le verso vierge de ce document, ainsi que de quelques autres, pour établir l'inventaire de la bibliothèque de son mari! Après avoir plié en deux les feuilles dans le sens de la largeur, elle les a tranchées au coupe-papier et reliées à l'agrafeuse, obtenant ainsi un cahier de fortune où elle a pu noter les ouvrages dont elle souhaitait se séparer, cahier qui a fourni matière au catalogue imprimé.
Si le hasard n'avait pas placé au bon moment la facture du Livre de la Mort sous la main de Marthe Bouvaist-Ganche, il est probable que ce document aurait été détruit comme l'ont été sans doute beaucoup d'autres.

Heureusement, il n'en a rien été. Heureusement aussi, un attrait prononcé pour les petits riens du quotidien qui, d'ordinaire, nous plonge facilement dans la procrastination quand il ne nous égare pas fort loin des sujets de recherche que nous nous sommes fixés, nous a permis ce jour-là de hâter peut-être de plusieurs décennies la mise à jour de ce document car, avouons-le, les chances de le découvrir dans de telles conditions, pour un chercheur sérieux et appliqué, sont bien minces, d'autant que la plupart de ceux qui consultent le fonds Édouard Ganche de la Bibliothèque nationale de France sont, et c'est bien compréhensible, des musicologues pour qui les péripéties éditoriales du Livre de la Mort  ne présentent a priori pas un intérêt immédiat.

Le chercheur curieux peut donc encore prendre connaissance de la facture de l'édition originale. Du fait de la manière dont les feuillets on été reliés, il n'est pas possible d'en faire réaliser une copie numérique. En voici donc la transcription:

Imprimerie Typographique de Ch. Hérissey & Fils à Évreux

Évreux, le 2 avril 1909
 
Doit Monsieur Ganche, 48 Rue de Maistre, Paris

Le Livre de la Mort
in-16 Jésus en X mil ex. sur 21 [illisible]
8 feuilles 8 pages     3300/3000 ex. ordinaires
                       10 Japon
                       10 Chine
- Fourniture de 1100/1000 exemplaires de 10 feuilles in-16,
brochage sous couverture imprimée en noir, prix convenu -------------- 1200,00
- Fourniture de 2200/2000 ex. à raison de 675 frs les 1100/1000 ex. -- 1350,00
- 10 ex. sur Japon numérotés ------------------------------------------- 62,00
- 10 ex. sur Chine numérotés ------------------------------------------- 32,00
- changement sous presse dans la couverture
pour les 2e et 3e mille à 1 fr. l'un ------------------------------------ 2,00
- Empreintes de 8 feuilles à 7 frs la feuille -------------------------- 56,00
- corrections en placards et en feuilles
en 1ère 2e et 3e épreuves, 50 heures à 0,80 ---------------------------- 40,00
- supplément de papier employé (plus fort)
pour 8 [illisible] 8 pages - 19  rames à 1F50 -------------------------- 28,50
- Papier de couverture pour 250 ex. en plus ----------------------------- 4,00
---------------------------------------------------------------------- 2774,50

à déduire
Composition, triage et papier pour 1 feuille
24 pages à 3300/3000 -------------------------------------------------- 366,00
Total ---------------------------------------------------------------- 2468,50


Différents documents retrouvés dans les mêmes circonstances nous permettent en outre de préciser les points suivants:

- Édouard Ganche a reçu 250 exemplaires dès le 1er avril 1909.
- Il a fait réaliser 5000 exemplaires d'un prospectus/avis de parution (in-4° coquille).
- Il était initialement prévu que Le Livre de la Mort soit imprimé sur papier couché mais Édouard Ganche a préféré du papier ordinaire pour des raisons de coût.
- Édouard Ganche a adressé à l'imprimeur son accord le 12 janvier 1909.
- Le 8 février il a versé un accompte de 1500 Francs.
- L'imprimeur a adressé à une date indéterminée à Édouard Ganche un reçu ainsi libellé: «Reçu de MM. É. Ganche et P. Du Quesnay la somme de 968 F 50 solde facture».

Ces informations soulèvent naturellement des questions passionnantes auxquelles il nous est malheureusement encore impossible de répondre:

Ainsi, qui est donc Pierre Nicolle du Quesnay, le dédicataire du Livre de la Mort, qui semble avoir aidé Édouard Ganche à financer le tirage de son recueil? Nous l'ignorons.

Comme tout semble l'indiquer, Le Livre de la Mort a été réalisé à compte d'auteur. Pourtant, dans sa préface de 1938 à son projet d'édition définitive, Édouard Ganche précise: «Par suite d’un grave différend commercial entre deux éditeurs, ce livre disparut quelques mois après sa publication en 1909.» Le Livre de la Mort  est effectivement un ouvrage difficile à trouver. Les exemplaires courants sont rares, surtout en bon état, quant aux exemplaires sur Chine et sur Japon, ils sont tout simplement rarissimes. Le tirage courant a-t-il donc été envoyé au pilon? En vertu de quel accord? Il semble que la Société des Auteurs-Éditeurs se soit contentée de jouer le rôle de diffuseur/distributeur puisque, on le voit, c'est Édouard Ganche qui a conçu cette édition en collaboration avec l'imprimeur et qui en a financé le tirage. Il semble avoir conservé l'intégralité de ses droits sur son œuvre à cette époque (même si rien ne permet de l'affirmer catégoriquement car aucun contrat d'éditeur n'a encore été retrouvé dans ses archives, à notre connaissance). Comment, dans ce cas, ce livre a-t-il pu «disparaître»? Mystère.

Précisons enfin, pour en revenir à la bibliothèque d'Édouard Ganche, que ce dernier avait conservé un certain nombre d'exemplaires de ses propres ouvrages:

- 1 exemplaire de Lettres d'amour à une fille.
- 3 exemplaires de Soubrette.
- 3 exemplaires de Mon début dans la médecine, dont 1 exemplaire courant (le n°522), 2 exemplaires sur vergé pur fil (le n°7 non coupé, le n°3 partiellement coupé).
- 3 exemplaire du Livre de la Mort, dont 1 exemplaire sur papier Japon (le n°1 non coupé), 2 exemplaires de l'édition courante dont 1 annoté en 1938 dans le cadre de son projet d'édition définitive.


Philippe Gindre



Ci-dessus: l'un des dix exemplaires sur papier de Chine.

Ci-dessous: les premières pages du catalogue de la vente de la bibliothèque d'Édouard Ganche.


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Téléchargez librement Le Livre de la Mort et L'Ordre de la Mort, les deux recueils de contes macabres d'Édouard Ganche, en version pdf.

© 2024 Philippe Gindre